Les ouvriers exigent de meilleurs traitements, et le respect des conventions collectives. C’est le troisième débrayage du genre depuis le lancement des travaux. L’entrepreneur chinois imperturbable, les autorités dépassées.

Un énorme tas de bûches de bois trône, hier, sur le no man’s land qui sert également de parking engins, devant l’entrée principale de la base vie de l’entreprise chinoise China first highway engineering company. Les ouvriers Camerounais de cette société ont l’intention d’allumer un feu de camp, question de passer toute la nuit là. Il ne s’agit pas ici de danser, mais de protester autour du feu : « L’affiliation normale des ouvriers à la Cnps, le bon calcul des salaires, l’application de la convention collective du travail, l’application du droit du travail au Cameroun, la revue des primes -  parce que nous n’avons pas de primes - les infirmeries, la prise en charge des ouvriers en cas d’accidents ou bien de maladies professionnelles » ; tel est le chapelet de revendications égrené plus tôt par Christophe Roland Zibi Zibi, délégué du personnel du pôle Pk 16+500 sur le chantier de construction de l’autoroute Douala-Yaoundé. Ce jeudi 11 aout dès 6h du matin,  le personnel camerounais de cette infrastructure a entamé un débrayage « illimité » pour le respect de leurs droits. « Il y a aussi l’équipements, il faut aussi que les chinois sachent que nous sommes des êtres humains. Les camerounais sont des êtres humains. Il faut le respect envers les ouvriers camerounais que nous sommes », aboie encore le délégué dépité.

Le système de calcul boudé

Près de 300 personnes se sont données rendez-vous ce matin au Pk 0, Nkolkoumou, où se trouve la base vie du maitre d’œuvre, à quelques kilomètres au nord-ouest de la capitale. Les ouvriers Camerounais, sous le regard indifférents de leurs collègues et patrons chinois qui eux continuent de vaquer, ont observé un mouvement de grève « parce que les conditions de travail ne se sont pas améliorées depuis trois ans », répètent presqu’en chœur les délégués du personnel des 10 pôles de ce chantier. Ceci sous le regard  des forces de sécurité, ici le Groupement mobile d’intervention (Gmi) venu de Yaoundé, et conduit par un commissaire principal, et les éléments de la brigade de gendarmerie de Lobo, territorialement compétent.   Le sous-préfet de Lobo est d’ailleurs descendu sur le terrain s’enquérir de la situation.

Les patrons chinois sont accusés ici de tous les maux : « j’ai travaillé au mois de juin.  J’ai eu une réclamation de 27 heures, aux heures supplémentaires, de 30%. A la place des 27 heures, ils m’ont payé 3321 Fcfa, au lieu de 14 000  et des poussières. Ce qui n’est pas normal. Et ils font des mauvais calculs. La Cnps (cotisations sociales à la Caisse nationale de prévoyance sociale. Ndlr), on ne voit pas où cela va. Donc il faut qu’ils changent de système de calcul », déclare un ouvrier.  Lui et ses camarades se disent prêts à un débrayage d’un mois et plus, contrairement aux deux précédentes grèves qui ont été « cassées » par la partie chinoise, qui a congédié les frondeurs, et procédé à de nouveaux recrutements.

Norme internationale du travail

Le débrayage a reçu le soutien de la Confédération syndicale des travailleurs du Cameroun (Cstc), dont le président, Jean Marie Zambo Amougou était sur les lieux. « Vous savez que la grève ce n’est pas un élément de durcissement. La grève c’est un appel au dialogue, un appel à la concertation. Jusqu'à présent nous avons décidé d’organiser ce sitting pacifique. Tous les Pk sont présents, et observent donc cet arrêt de travail depuis ce matin », a déclaré ce dernier. Et d’ajouter que « nous espérerons que nos partenaires chinois vont tout faire pour nous appeler au dialogue, parce que ca dure depuis le 16 mai dernier, et depuis que ce chantier a été lancé ». Mais le patron de cette puissante centrale syndicale ne manque pas d’accuser pour autant : « nous constatons que depuis le recrutement, il y a comme une volonté délibérée de ne pas respecter la norme internationale du travail, de ne pas respecter la législation nationale, de ne même pas respecter notre administration.  Et tout ce que nous revendiquons, ce sont des choses déjà écrites pour rappelez : respectez la convention collective des bâtiments et travaux publics. C’est cela qui définit la classification des métiers et qui donne donc le pas d’avancement, notamment les problèmes d’ancienneté, les problèmes de logements, les problèmes de transports, et les problèmes de nutrition ». 

Grégoire Owona en villégiature

En face, on se réfugie dans le mutisme. « Nous ne pouvons nous exprimez sans l’aval de l’autorité contractante », nous répond un cadre camerounais de l’entreprise chinoise. « L’autorité contractante » ne va pas tarder à se manifester sous la forme d’un pick-up siglé « Minmap », pour ministère des Marchés publics. Le véhicule va s’engouffrer dans l’enceinte de la base vie de l’entreprise, avant de ressortir une vingtaine de minutes plus tard sans un mot de ses occupants. Les représentants du personnel fustigent l’attitude des autorités dans ce dossier, notamment le ministère du Travail et de la Sécurité sociale, par sa délégation régionale pour le centre. Le chef de ce département ministériel, le ministre Gregoire Owona, est d’ailleurs sous le soleil et la samba de Rio, au Brésil. Pas pour une convention internationale dont il a la compétence, mais pour accompagner la délégation de sportifs camerounais aux Jeux olympiques…

Serge ETONG avec le Messager